PHILOSTORY : autour du spectacle d’Isabelle Pousseur
« Last Exit to Brooklyn (Coda) » (Hubert Selby Jr.) Avec Isabelle Pousseur, Baptiste Morizot, Vinciane Despret & Antoine Janvier
- Lieu : Salon des Pommettes
Quels liens peut-on tracer entre le retour du loup dans les forêts des Cévennes et la vie dans les communautés urbaines de Brooklyn ? Ce grand écart apparent constitue le défi pour la pensée de la prochaine soirée Philostory organisée au Théâtre de Liège.
Le spectacle d’Isabelle Pousseur, Last Exit to Brooklyn (Coda), raconte – à partir du texte de Hubert Selby Jr. – 24h de la vie d’un immeuble dans une grande ville des Etats-Unis. Avec son langage oral, franc et violent, le récit nous plonge au cœur d’une communauté constituée de couples, de familles et de groupes qui occupent les territoires à l’extérieur de l’immeuble. Dans le contexte de la vie urbaine des années 1950-1960 aux Etats-Unis, les rapports sociaux et affectifs qui se nouent entre les individus sont touchés par la violence et par l’inégalité. Les hommes et les femmes ne partagent pas équitablement le temps : leurs relations au repos (« temps libre ») et leurs relations au plaisir ne sont pas les mêmes. Les femmes sont privées parfois de vie réelle ; elles vivent strictement pour les hommes. Isabelle Pousseur explore à partir du tissu de relations décrit par H. Selby Jr. les problèmes de coexistence. Car vivre ensemble n’a rien de naturel. Observé sur son territoire urbain et dans son espace domestique, le couple sera interrogé dans son animalité et dans sa violence. Comment composer malgré les disputes, la misère et la méchanceté ? Comment construire un habitat viable, dans quelle intelligence des rapports ? Les modalités possibles de la coexistence sont variées, mais il apparaît que pour survivre, il importe avant tout d’appartenir à un groupe, de nouer des alliances, entre familles, entre bandes.
Dans son ouvrage Les diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant (Wildproject 2016), Baptiste Morizot pense l’écologie des rapports au départ d’une situation toute différente – mais qui pourra jouer comme grille d’analyse inédite du spectacle Last Exit to Brooklyn (Coda). Dans les Cévennes, durant les deux dernières décennies, les habitants ont assisté au retour du loup, animal sauvage, super-prédateur et nuisible aux élevages. Le loup est là, il se rapproche chaque année un peu plus des régions habitées, dans les villages et jusqu’aux abords des grandes villes. Comment traiter avec lui ? En philosophe, Morizot envisage la situation en multipliant les angles, pour la saisir dans toute sa complexité. Le loup est un animal qui suscite des réactions toujours vives et paradoxales : il est redouté voire détesté par les éleveurs, mais sacré ou sanctifié par les écologistes, qui saluent sa réapparition dans les forêts (parfois en comprenant mal ou en méprisant le problème des bergers). Il est pour l’homme à la fois son rival, en tant qu’il le prive de ressources lorsqu’il s’attaque aux troupeaux d’ovins domestiques, et son fantasme. Mais comment parvenir à vivre avec le sauvage – en nous, et hors de nous ? Entre sacralisation et éradication du loup, quels nouveaux chemins dessiner ? La philosophie intervient à cet endroit précis, quand « les anciennes techniques familières de gestion du réel deviennent inopérantes » et qu’il s’agit d’élaborer de nouveaux modèles, de dessiner autrement la carte des relations. À travers son enquête de « philosophe-pisteur » sur les loups, Baptiste Morizot pose la question des modes de cohabitation et de notre aptitude au partage de l’espace. Son ouvrage propose une nouvelle figure, celle du diplomate, qui engage des enjeux écologiques et politiques larges. Le diplomate, littéralement « celui qui se plie en deux », transforme le rapport dominateur à l’égard du vivant, compose avec les rivalités, forge de nouvelles alliances, délimite un terrain d’entente, se positionne comme interprète pour trouver un langage commun, développe des moyens de faire pression. Il fait passer des messages, pose des limites et signifie des interdits.
Le spectacle Last Exit to Brooklyn (Coda) et l’ouvrage Les diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant se croisent autour du problème de la cohabitation – et offriront une occasion originale et stimulante de repenser l’écologie des rapports et des alliances possibles entre les vivants.
Soirée animée par Maud Hagelstein, avec Baptiste Morizot (philosophe), Vinciane Despret (philosophe), Antoine Janvier (philosophe) et Isabelle Pousseur (metteuse en scène).
Les conférences débutent à 19h
P.A.F 5€ / Gratuit pour les détenteurs d’un ticket pour le spectacle
Réservation auprès de la billetterie –04 342 00 00 theatredeliege.be
Sur Baptiste Morizot :
« Le paradoxe de la modernité, c’est le retour du sauvage »
http://www.loup.org/spip/Le-paradoxe-de-la-modernite-c-est,1156.html