Comment fait-on l’amour sur un plateau de cinéma ? Ou sur les planches d’un théâtre ? D’ailleurs, comment fait-on l’amour ? Bien connue du Théâtre de Liège, la compagnie irlandaise Dead Centre (Beckett’s room, To be a machine, Le Silence) revient avec la création francophone de son spectacle Good Sex, une fiction qui nous parle d’amour au XXIe siècle, et interroge le métier d’acteur et les illusions que produit en nous le théâtre.
Good Sex est un projet qui s’inscrit dans un contexte particulier et qui, à certains égards, diffère de vos précédents spectacles. Comment est-il né ?
Avec Bush Moukarzel (le co-fondateur de la compagnie Dead Centre), nous avons pour habitude de créer la majorité de nos projets à partir de « rien » ; et lorsque nous décidons de faire des adaptations, comme cela a pu être le cas avec Le Silence d’Ingmar Bergman, il s’agit d’adaptations très libres.
Pour cette pièce, tout démarre avec une amie, une danseuse et actrice, qui a participé à un atelier organisé par une coordinatrice d’intimité ; et même si j’avais déjà entendu parler de ce nouveau métier qui émergeait, lorsqu’elle nous a raconté son expérience, nous avons été fascinés. Elle nous racontait toutes les techniques mises au point, la manière dont ils regardaient ensemble des documentaires animaliers sur la reproduction… (Il rit) Soudainement, le sexe devenait une chorégraphie, quelque chose, comme la danse par exemple, de technique, qui se préparait, qui se répétait. Cela bousculait la vision que nous en avions, où un metteur en scène faisait aller ses mains en disant à ses acteurs : « Allez, faites ce que vous avez à faire. »
Le côté chorégraphique vous intéressait particulièrement ?
Oui, exactement. Cela rendait le sexe faux, d’une certaine manière. Je me demandais ce qui, dans la vie, était vrai, ce qui était faux. Que veut dire : « Être réel » ? Dans nos vies personnelles, qu’estce qui sépare le vrai du faux ? Avons-nous appris ce qu’était l’intimité ? Avons-nous appris à faire l’amour ? Qui m’a appris à faire l’amour ? Cela posait aussi en parallèle la question de l’authenticité. Quand sommes-nous réellement nous-même ? Sommes-nous simplement une copie des autres, qui prétend être authentique ? À répéter des chorégraphies que nous avons apprises ?
Toutes ces questions nous ont agité et nous avons eu envie de faire un projet autour de cette thématique. Cela rejoignait également une de nos envies, qui nous ne nous a jamais quittés, celle d’amener le public à l’intérieur même des mécanismes de fabrication d’histoires. Avec une coordinatrice d’intimité sur le plateau, nous pouvions montrer au public ce qui se passe sur scène quand ils ne sont pas là, les amener en coulisses. Nous pourrions réaliser un film ou mettre en scène une pièce sur une coordinatrice d’intimité ; et je suis sûr que, bientôt, il y aura un très beau film français où la coordinatrice d’intimité tombera amoureuse de l’un des acteurs… (Il rit) Je suis sincère, je pense qu’il y a là quelque de l’ordre du dramatique, dans le sens premier du terme, mais ce n’est pas ce que nous voulions ; nous voulions offrir aux spectateurs une nouvelle expérience, une expérience dans laquelle ils pourraient tout voir !
Est-ce pour cela que vous amenez sur scène des acteurs qui ne connaissent pas le texte, qui n’ont jamais répété ? Pour montrer au public ce qu’il ne voit jamais ?
Nous aimions le contraste sur scène entre ce qui est préparé et ce qui ne l’est pas. C’est ce qui rend totalement unique le théâtre. Dans un film, il peut y avoir des erreurs lors du tournage, mais à la fin, le réalisateur sait exactement ce qu’il va présenter au public : l’erreur devient délibérée. Au théâtre, les choses peuvent mal tourner (Il rit). En amenant au plateau un couple d’acteurs qui n’a jamais répété, qui reçoit les répliques au fur et à mesure que la pièce se joue, on fait advenir l’inattendu au plateau.
Il y a quelque chose de formidable au théâtre : tout est préparé, tout est chorégraphié, et pourtant nous croyons tout de même à l’histoire que l’on nous raconte. Nous savons au fond de nous que l’acteur sur scène n’est pas Hamlet, mais nous y croyons. Avec une coordinatrice d’intimité, où tout est également chorégraphié, nous ne faisons finalement rien d’autre que jouer. Good Sex, c’est aussi un spectacle sur les illusions du théâtre. Ce qui nous intéresse, c’est le risque ! Voir ces deux acteurs non préparés, qui vont peut-être commettre des erreurs, voir le public attentif parce qu’il comprend qu’ils ne sont pas préparés…
J’espère d’ailleurs que, lors de la création francophone du spectacle à Liège, nous aurons l’occasion d’aller plus loin, d’avoir un spectacle plus risqué, de nous mettre plus encore en danger.
Des adaptations lors de cette recréation francophone sont-elles prévues ? La pièce originale se déroulant à Dublin, allez-vous par exemple déplacer l’action ?
Nous avons déjà tourné avec la pièce originale en anglais en Europe, et nous retirions simplement les références aux lieux. Vous savez c’est l’histoire d’un couple qui s’est séparé, l’un a déménagé et ils se sont perdus de vue. C’est quelque chose de très commun en Irlande, les gens déménagent, à Londres ou ailleurs, et des relations pourtant très fortes se dissipent…
Ici, nous avons la volonté d’aller plus loin, de faire des changements plus profonds et de coller plus au paysage belge et français, d’être au plus proche de cette énergie particulière. La question de la pandémie de COVID-19 se pose également, puisque la pièce a été créée entre les différents confinements. Est-ce toujours important de garder cet élément ?
Le point central de la pièce, ce sont les relations humaines ; Good Sex raconte l’histoire de deux personnes qui ont connu une histoire d’amour, et qui sont désormais seuls, terriblement effrayés par la possibilité de ne jamais retrouver personne pour partager à nouveau leur vie. Toutes ces préoccupations ne sont pas uniquement émotionnelles, elles sont liées à d’autres influences, la culture, l’économie… Et ces questions-là doivent être réétudiées dans un nouveau contexte. Prenons le sexe par exemple, il n’est pas vécu de la même manière au Royaume-Uni, en France ou en Belgique… Les attentes sont différentes…
Vous nous avez dit construire vos pièces à partir de « rien » ; pour Good Sex vous vous êtes associés avec la romancière Émilie Pine. Pourquoi cette volonté de vous ouvrir à de nouvelles collaborations ?
Nous avons toujours écrit et dirigé nos pièces, mais depuis quelques années, nous avons commencé à travailler avec des auteurs comme Mark O’Halloran, qui a écrit l’adaptation de Le Silence de Bergman, ou Mark O’Connell pour To be a machine. C’est une manière pour nous d’amener au plateau d’autres sensibilités.
Émilie, nous la connaissions surtout comme universitaire, nous avions beaucoup apprécié ses essais, et nous avons eu l’idée de lui proposer d’écrire pour le théâtre – ce qu’elle n’avait jamais fait. Nous trouvions le contraste intéressant. Nous sommes très attachés au théâtre, on dit souvent de notre travail qu’il est très théâtral. Ce serait compliqué pour nous de diriger une série ou un film, de passer par d’autres mediums que le théâtre. Notre point de départ est souvent le même : « Qu’est-ce que le théâtre ? » ; « Que peut de plus le théâtre ? » Si nous mettons en scène une adaptation et que nous nous rendons compte qu’il aurait mieux valu lire le livre ou regarder le film, alors nous devons tout recommencer. Le cinéma et la littérature ont leurs caractéristiques propres, ils sont capables de choses que le théâtre ne peut pas réaliser, mais l’inverse est aussi vrai, et c’est là-dessus que nous voulons travailler.
Pour Émilie, c’était un peu le baptême du feu, parce que notre processus est très particulier. Chaque ligne d’une pièce, ce n’est pas simplement ce qu’un personnage dit, c’est aussi tout ce qui se passe à ce moment sur les planches ; à chaque réplique, il faut se poser la question de la théâtralité qui se joue simultanément. Elle trouvait le défi stimulant, amusant, et elle est venue avec son histoire, ses personnages et leurs spécificités, leurs vies, leur passé…
Certes nous sommes les auteurs de nos œuvres, mais nous sommes toujours ouverts. Nous devons l’être, parce que nos pièces impliquent toujours des personnes qui sont capables de faire des choses que nous ne pourrions réaliser. Pour Good Sex, nous avons longuement travaillé avec plusieurs coordinatrices d’intimité pour comprendre au mieux leur métier, voir comment cela pouvait s’insérer dans une pièce. Je rêve parfois d’écrire un roman, seul, sans l’aide de personne, mais je ne peux pas, je ne suis pas assez bon, et j’ai donc besoin de gens pour m’accompagner.
Par exemple, pour Good Sex, mon idée première était de faire venir les deux acteurs juste avant la représentation, de les faire se rencontrer et de les jeter dans l’arène, mais toutes les coordinatrices d’intimité nous ont directement alertés en nous expliquant que c’était contraire à tout ce qu’elles faisaient. Nous justement, nous ont-elles raconté, nous essayons de mettre les acteurs dans une situation confortable, là où ils se sentent en sécurité. Alors nous avons dû revoir nos plans. Nous trichons un peu, et les acteurs arrivent quelques heures avant pour apprendre les rudiments de l’art de se toucher, l’une ou l’autre chorégraphie qu’ils vont devoir utiliser ; mais sans pour autant savoir quand !
Était-ce pour cette fraicheur qu’il était primordial pour vous de jouer chaque soir avec un
couple d’acteurs différent ?
Quand j’ai eu les premières idées de cette pièce, je voulais simplement avoir deux acteurs non préparés sur scène, avec un public qui sait qu’ils n’ont pas répété. Je voulais les voir s’embrasser, voir cette chose si belle et si simple, qui advient pour la toute première fois.
Ne faut-il pas néanmoins qu’ils se sentent en confiance pour cela ?
Oui, bien sûr, pour voir cette belle chose se produire, il faut absolument que les acteurs soient en confiance ; quand ils le sont, ils ont une présence extraordinaire au plateau, mais le fait qu’ils ne sachent rien de cette histoire les place dans l’instant le plus présent possible, sans aucune intellectualisation superflue. Cela crée un moment véritablement unique… Pas simplement pour le public, pour les acteurs également. Nous avions beaucoup de retours de leur part dans lesquels ils nous racontaient comment ils ont pu mettre leur cerveau en pause l’espace d’un instant, et embrasser pleinement le moment présent, l’expérience de la scène.
Je pense que ce dispositif permet aussi au public de s’interroger sur le métier d’acteur. Une des grandes réussites du projet tient pour moi dans la communion qui s’instaure entre les comédiens et le public. Tout le monde réalise que personne ne sait réellement ce qui va arriver par la suite, et alors, n’importe quel spectateur peut se dire : « Mais… cela aurait pu être moi ? »
C’est certainement un peu cliché, mais lorsque nous démarrons un projet, et que nous arrivons pour la première fois à la table de lecture, il se produit quelque chose d’unique, et lors des répétitions, nous essayons alors de retrouver cette fraicheur du premier jour. Cela me fait penser au réalisateur Mike Leigh, qui donnait très peu d’indications à ses acteurs, seulement ce que le personnage sait, et en jouant, ils en apprennent de plus en plus sur le film ; cela crée une véritable spontanéité. C’est exactement ce que nous voulons faire sur scène. Après tout, c’est la vie, et l’art n’a jamais rien fait d’autre que d’essayer de capturer l’essence de la vie, de la redécouvrir encore et encore. Alors, oui, qu’est-ce que c’est compliqué, putain ! Mais nous essayons, à notre manière, un peu loufoque peut-être, mais nous essayons.
C’est tellement étrange le jeu d’acteur… Cela nous fait réfléchir sur le « comment », sur comment vivons-nous. Comment je mets mes chaussures ? Comment je me brosse les dents ? J’avais parfois des professeurs au conservatoire qui nous reprenaient en nous expliquant qu’ils ne croyaient pas du tout à notre jeu, et parfois pour des actions totalement banales et quotidiennes. J’étais un peu désemparé, je restais figé en me demandant : « Mais, en fait, comment je me brosse les dents ? » Toutes les réflexions qu’un acteur peut avoir sur son propre jeu ne vont pas forcément l’aider à recréer la vie du quotidien. Alors, les mettre dans une position où ils reçoivent les répliques au fur et à mesure de la pièce, et les voir comprendre l’histoire petit à petit, c’est assez jouissif. L’expérience est totalement ancrée dans le présent.
C’est pour cela qu’il faut absolument que les acteurs soient détendus ; nous avions tenté l’expérience avec de jeunes acteurs, mais ils étaient encore trop nerveux, et tout le monde pouvait observer à leur manière de jouer qu’ils s’efforçaient d’être les meilleurs acteurs possibles, et, malheureusement, cela gâchait l’authenticité que nous recherchions. Un autre exemple : en Allemagne, nous avons joué avec des acteurs germanophones, qui performaient en anglais ; comme ils jouaient dans une autre langue, ils étaient plus enclins à commettre quelques erreurs de vocabulaire, ce qui est évidemment arrivé (Il rit), mais c’était super ! Dans la vie de tous les jours nous commettons aussi des erreurs, des lapsus… Tout était plus authentique.
N’y-a-t-il pas également la volonté de se rapprocher de l’adage selon lequel un spectacle est toujours différent d’une représentation à l’autre ?
Oui, c’est vrai, au théâtre, on dit toujours qu’on ne voit jamais deux fois le même spectacle. J’ai toujours bien aimé cette idée, mais, réellement, si on veut être totalement honnête… ce n’est pas le cas. Un spectacle reste un produit fini, avec une cohérence, une trame. Ici, nous essayons de pousser ce lieu commun à son paroxysme, nous essayons réellement de proposer un spectacle différent chaque soir. Un spectacle ne peut pas être réellement le même avec des acteurs différents.
Le public en est conscient. Il sait que les acteurs ne joueront plus jamais ce spectacle, et cela amène des variations : c’est parfois plus drôle, parfois plus triste, parfois plus étrange… En fonction de la manière dont les acteurs s’approprient le texte, le spectacle peut véritablement changer d’un soir à l’autre.
Pour atteindre cette spontanéité, cette authenticité, est-il important d’avoir un couple d’acteurs qui ne connaissaient pas avant de monter sur scène ?
C’était mon envie dès les prémices de la création, mais, au fur et à mesure de l’avancement du projet, je me suis rendu compte que ce n’était pas aussi important que je le pensais. Le public réalise directement que les acteurs n’ont pas répété, et c’est suffisant pour créer l’atmosphère que nous recherchons. Evidemment, je préfère s’ils ne se connaissent pas, l’expérience est alors encore plus frappante pour les acteurs, cela peut même créer des amitiés… C’est d’ailleurs parfois plus risqué d’avoir deux acteurs qui ne se connaissent pas, parce qu’il faut créer une alchimie pour que la représentation soit un succès. C’est pour ça que le choix des acteurs est peut-être plus important que le couple ; ils doivent être un peu jouettes, à l’aise dans l’humour, avec un côté presque clownesque… S’ils ne se laissent pas aller, cela ne peut pas marcher.
Ne craignez-vous pas d’effrayer les acteurs ? Certaines scènes peuvent être un peu crues par moments…
Lorsque nous avons créé le spectacle, c’était l’une de mes craintes. Tout le monde était effrayé : les producteurs, les coordinatrices d’intimité… Nous avons tenu bon ! Et, à la fin, nous nous sommes rendu compte que tout cela n’avait rien d’effrayant.
Nous n’avons jamais eu de retours négatifs. Et puis, très honnêtement, ce que nous faisons sur scène… les scènes à caractère sexuel sont très consensuelles… Il peut y avoir dans certains films des scènes de sexe très graphiques, avec de la nudité complète, et ça oui, je le conçois, ça peut affecter les acteurs… C’est une chose que personne ne comprenait, ou peut-être que personne ne voulait le comprendre. C’était comme ça et c’est tout. C’est intéressant de faire une analogie avec les scènes de combat. Si une scène pareille ne se déroule pas comme prévu, et qu’un acteur, même involontairement, frappe réellement son partenaire de jeu… Tout le monde voit que cela pose un problème… Simplement parce qu’un acteur est à l’hôpital et qu’on doit retarder le tournage (Il rit). Avec les scènes de sexe, jamais personne n’y a prêté la moindre attention. Parfois même, quand les acteurs étaient contrariés, on trouvait ça super, ça faisait encore plus vrai !
Nous, c’est évidemment l’inverse que nous voulions faire, nous ne voulions contrarier personne. Et, fort heureusement, ce n’est jamais arrivé ; sans doute parce que nous n’avons pas de scènes crues, pas de scènes graphiques ou sensuelles… Il est plus ici question d’un spectacle sur le métier d’acteur que sur le sexe. C’est un jeu, il faut apprendre les règles du jeu, essayer de le terminer, et voir si le public va continuer de croire à notre jeu, continuer de croire à l’illusion que nous façonnons sur les planches.
C’est dans ces situations que les coordinatrices d’intimité prennent alors tout leur sens ?
Travailler avec une coordinatrice d’intimité, c’est comme avoir à sa disposition un nouvel outil, un outil extrêmement utile. J’étais impressionné de voir à quel point elles sont sérieuses, pointilleuses. Je pense sincèrement que les coordinateurs d’intimité améliorent la qualité des scènes de sexe dans l’art. Au Royaume-Uni et en Irlande, le métier de coordinateur d’intimité a été propulsé sur les devants de la scène par la série Normal People. Et c’est vrai que ces scènes, dans la série, étaient particulièrement bien réalisées. C’est, pour moi, en grande partie dû à la présence de coordinatrices d’intimité sur le plateau, qui ont instauré sur le plateau une ambiance propice dans laquelle les acteurs se sentaient en sécurité ; s’ils ont peur, s’ils sont tendus, ils peuvent devenir résistants, et cela va se ressentir dans leur jeu. C’est d’ailleurs l’argument principal des coordinateurs d’intimité : si les acteurs sont détendus, si tout est chorégraphié, si on leur apprend correctement les différentes techniques, alors ils seront plus impliqués, plus connectés l’un à l’autre. Je suis assez d’accord avec cela. Paradoxalement, les restrictions et les instructions offrent une plus grande liberté, on ne se sent plus contraints par le partenaire et ça rend la qualité d’interprétation meilleure.
Ce sont juste des pensées, que je devrais peut-être étoffer, mais si on y pense, nous vivons tous avec des codes, des lois, des restrictions, qui nous offrent un cadre dans lequel nous pouvons être libres. Si tous ces codes disparaissaient, si nous étions soudainement libres, totalement libres j’entends, nous serions sans doute figés, bloqués, incapables d’agir, parce que nous ne saurions quoi faire…
Si votre spectacle aborde en filigrane le métier d’acteur, il pose aussi un regard sur l’amour à notre époque. Vous évoquez notamment le spectacle en ces termes : « Une histoire d’amour pour un âge sans amour » ; l’amour est-il réellement en voie d’extinction ?
C’était surtout une phrase de communiquant ! (Il rit) Plus sérieusement, je pense qu’il y a plusieurs manières de voir les choses. Lorsque nous parlons d’instructions, de chorégraphie, il y évidemment une perte d’authenticité, et je pense qu’il s’agit là d’un sentiment très contemporain. C’est un poncif, mais il suffit de s’intéresser aux algorithmes, à la prise de contrôle de nos émotions par les applications de rencontres… Nous sommes simplement devenus une source d’informations les uns pour les autres…
Ensuite, c’était évidemment lié à la pandémie, où le monde est devenu soudainement très compliqué pour les personnes célibataires ; pour ces personnes, l’intimité, l’amour, toutes ces choses avaient totalement disparu. Et même si les confinements appartiennent aujourd’hui au passé, ils ont laissé des traces. J’ai l’impression que nous sommes encore aujourd’hui en train d’essayer de comprendre ce qui nous est arrivé…
Enfin, il y a aussi l’intuition que les histoires d’amour appartiennent au passé, qu’elles sont dépassées, un peu idiotes, voire embarrassantes… Et moi, j’ai toujours trouvé ces histoires passionnantes. Ce qui se passe en nous lorsque nous regardons une histoire d’amour, lorsque nous espérons sincèrement que ce couple séparé va se remettre ensemble ! C’est le meilleur exemple pour étudier la narration, pour essayer de comprendre comment les mécanismes narratifs nous affectent ; tu peux penser être l’homme le plus sophistiqué du monde, tu vas toujours te faire avoir par une bonne histoire, tu vas toujours rentrer dedans…
Alors, oui, l’idée d’une histoire d’amour pour un âge sans amour, c’est un pari, une ambition assez simple en réalité, c’est essayer de savoir si nous pouvons encore raconter une histoire d’amour qui intéresse et touche les gens ! Il y a plusieurs manières de comprendre cette phrase, mais pour être honnête, c’est avant tout une idée naïve, un peu puérile peut-être, mais sincèrement authentique : « Peut-on encore aujourd’hui raconter une histoire d’amour dans un théâtre ? »
Entretien réalisé par Simon Vandenbulke, juin 2024